L'histoire est (presque ) libre. Né à Odense, ville qu'il n'a jamais vraiment quitté, Thorsten a toujours tout eu à porter de main, que ce soit grâce à la fortune de ses parents ou bien son charme naturel.

Il y a un an et demi, son nom apparut dans l'Eventyr, le grimoire qui recense les protecteurs. Aussitôt contacté par l'un des chefs de brigade, il se retrouva à parcourir les forêts d'autres mondes, à combattre sorcières et trolls ou encore à se faire charmer par des fées (ce qui n'était pas la partie la plus désagréable de ce travail d'ailleurs)… Se sentant alors utile, indispensable et surtout ayant un but, il ne s'est jamais aussi bien porté que durant son année en tant que protecteur à l'essai. Seulement, les bonnes choses ont une fin… Pour une raison x (que je vous laisse imaginer), le jeune homme rata l'examen final et, par conséquent, vit une fée lui ôter le moindre souvenir du monde magique et des protecteurs. — Notons que seule une fée lui permettra de les retrouver. Au mieux, il ne peut qu'avoir une vague impression de déjà-vu.

Depuis, Thorsten est habité par une sensation de vide qu'il ne peut s'expliquer et qui le pousse à agir encore plus imprudemment qu'auparavant. Plus récemment encore, il s'est mis à douter de ses souvenirs… Non pas de leur absence mais plutôt d'un surplus. En effet, l'espace de quelques secondes, il ne souvient pas de certaines personnes, ne se souvient pas de leur rencontre alors qu'il est censé les connaitre depuis des années. Il l'ignore mais il s'agit d'une légère brèche dans la malédiction.

Une pile de dossiers sur les bras, le téléphone coincé entre l'épaule et l'oreille, Esben était en pleine conversation avec l'un des clients les plus importants du country club. D'un mouvement de coude contrôlé, elle ouvrit la porte de son bureau… pour s'arrêter soudainement sur le seuil. Confortablement installé dans son fauteuil, les pieds sur son bureau, Thorsten l'attendait en jouant avec son portable. “ Je peux vous rappeler ? ” demanda t-elle à son interlocuteur en foudroyant le jeune homme du regard. Sans se soucier de la réponse, elle jeta ses dossiers sur le bureau, raccrocha et d'un geste de la main, poussa les jambes de Thor qui se redressa sur son siège en lui adressant un sourire narquois aux lèvres. “ Qu'est-ce que tu veux ? ” s'impatienta la jeune fille, espérant pouvoir se débarrasser rapidement de lui. “ Bonjour à toi aussi Esben ! ” ironisa t-il en tournant la chaise dans sa direction. Comme simple réponse, l'intéressée se contenta de le dévisager. “ Ça fait plaisir de te voir de bonne humeur. ” “ Je serais de bien meilleure humeur si tu quittais mon bureau. ” répliqua t-elle, le visage fermé, les bras croisés.

La simple présence de Thorsten suffisait à raviver des souvenirs qu'elle aurait préféré oublier, tout comme lui. Finalement, s'il avait été brisé à l'idée de ne pas avoir été accepté en que protecteur, on l'avait ôté de ce poids… et c'était à Esben de le porter. Voilà six mois qu'elle devait ignorer les sentiments que tous deux avaient développés l'un pour l'autre dans l'autre monde, chacun découvrant un aspect différent de la personnalité de l'autre : un Thorsten plus réfléchie contre une Esben moins névrosée. Sans jamais se l'avouer, ils s'étaient rapprochés, partageant parfois le même lit… Mais en oubliant l'univers des contes de fées, il avait également oublié leur semblant de relation, laissant la jeune fille amère. Et si avant ce malencontreux épisode, ils s'entendaient déjà comme chien et chat, se bâtant pour le même jouet (le poste de gérant)… les choses avait à présent empiré. Les piques, remarques en tout genre, propositions déplacées fusaient. Dernièrement, Thorsten s'était même amusé à saboter l'un des projets d'Esben au country club… ce qui avait poussé cette dernière à anéantir la vie « sentimentale » (si on peut appeler ça comme ça) du garçon en dévoilant certains détails personnels qu'il ne lui a pourtant jamais avoué. — Il ne s'en souvient tout simplement pas puisqu'ils étaient dans le monde des contes de fées.

“ Je sais, mais ce serait moins drôle. ” avoua t-il en ponctuant sa phrase de l'un de ces sourires angéliques qui avaient le don d'exaspérer Esben… (quoi que ce ne fut pas toujours le cas, mais là n'était pas la question) Il lui fallait changer de tactique. “ Bonjour Thortsen, comment vas-tu ? J'espère que tu passes une bonne journée ? ” Sa voix se voulait mielleuse, son sourire sonnait faux mais si cela pouvait abréger ses souffrances, elle était prête à tout. “ Maintenant, tu veux bien me dire c'que tu fou là ? ” reprit-elle un peu moins agréablement. “ Et le mot magique ? ” “ Si tu n'veux pas que ma main atterrisse sur ta joue et y laisse une jolie marque. ” Thorsten hésita un instant, considérant la proposition, avant d'hausser les épaules. “ Ça marche aussi. ” Un léger sourire victorieux apparut au coin des lèvres d'Esben alors qu'elle attendait une explication à la venue de son… collègue. “ Mon père a fini par choisir son remplaçant… ” Le visage d'Esben se décomposa. Si monsieur Henriksen ne l'avait pas contactée à ce sujet, c'est qu'elle n'avait pas été choisie. Et si ce n'était pas elle, ça ne pouvait être que Thorsten, ce sale arrogant incapable, cet espère d'amnésique menteur - quoi que craquant - de Thorsten. Comme à l'habitude, tout lui était proposé sur un plateau alors qu'elle, avait passé ses soirées à s'épuiser, à développer une addiction à la caféine pour tenir… Tout cela, en vain. Tout ça pour que son rival prenne la place dont elle avait toujours rêvé et fasse de sa vie un enfer. Ce dernier semblait d'ailleurs jubiler. Il explosa comme pour enfoncer le couteau dans la plaie. “ Tu verrais la tête que tu tires ! J'te rassure, j'ai fais la même. ” “ Quoi !? ” s'égosilla t-elle. “ Il a préféré choisir quelqu'un d'autre, parce que ça lui était soit disant trop dur de choisir entre nous deux. ” Esben en resta bouche bée. Elle ignorait que quelqu'un d'autre était dans la compétition. “ Mais je te propose une alliance. ” Ça ne lui ressemblait pas… Il détestait demander de l'aide presque autant qu'elle. Se pouvait-il qu'il lui reste ne serait-ce qu'un maigre élan d'affection, un écho du temps passé ensemble puisque leur relation s'était vaguement prolongée dans le monde des humains ? “ A nous deux, on devrait facilement pouvoir se débarrasser du nouveau gérant. ” dit t-il en lui proposant une main qu'elle hésita à serrer. Une armistice le temps d'éliminer l'ennemi commun, Esben devrait pouvoir y arriver. “ Deal ” se décida t-elle enfin.