la mer ensorcelle, la mer tue, émeut, terrifie, fait rire aussi parfois

Quel nom stupide, quel nom crétin. Il n'est pas faute d'avoir tourné autour, de s'être posé des questions sans relâche, de ne pas en dormir pendant deux ou trois jours. Puis, la fameuse date arrive, pointe le bout de son nez et vous dégouline en pleine figure. La fête des bateaux. Pourquoi ? Comment ? Qui ? Personne ne saurait le dire. J'ai demandé au mur, il ne m'a pas répondu, j'ai demandé au plafond, il m'a dit que peut-être la mer le savait, je lui ai posé la question, même elle ne savait plus où donner de la tête. Trop de bruit pour peu, pour pas grand chose, pour des poissons morts, des filets de pêches jetés sur le sable. Mains dans les poches, le regard rivé sur un horizon peut fastidieux, j'avance. Vers le port, vers cet endroit où tout va se dérouler - en bien ou en mauvais, je ne saurais le dire. Le ciel est beau, bien, il fait presque chaud, presque bon. Les bateaux, les bruits au loin, juste pour attraper des touristes avec "La dame de corail" ou encore "Fierté des eaux", que de noms en façade. Reste ceux qui ne signifient qu'un prénom, qu'un amour perdu ou encore un fils trop apprécié. Si j'avais un bateau, je ne lui donnerais pas de nom. Il serait le fantôme, celui qui coule ou qui au contraire, avance malgré les coups de grâce. Non, il n'aurait pas de nominatif, parce que rien ne sert de donner une qualification à un objet, après tout, il ne respire pas, ne peut pas vivre. Dois-je en conclure que les propriétaires sont des fêlés à demander en mariage un tas de fer capable de voguer sur l'eau ? L'idée me fait rire plus que convenu, je le retiens assez difficilement, ce qui attire malgré moi quelques regards. Haussant les sourcils, le maire entame sa causette habituel. Je n'entends qu'un lourd blabla soporifique. La musique qui s'enchaine, et dans tout ça, peu de choses qui me permettent à parler. Fixer le bel univers qui nous entoure, écouter les dents qui se montrent, les rires qui explosent comme des feux d'artifices. La mer me répondra un jour quant à l'utilité d'une telle mascarade. Un jour, mais pas maintenant, elle est trop occupée à préparer son prochain tour tordu.

Asger avait commencé sa journée assez agacé. Le country club l’avait nommé ‘ambassadeur’ pour représenter le club lors de la fête du village (ils organisaient les évènements autour des bateaux, c’était censé ‘faire de la pub’). Ça l’avait fait grincer des dents, sans surprise. Pour motiver Asger, il fallait lui vendre le tout sur un plateau d’argent. Quand on lui dit que c’est pour une fête des bateaux, c’est comme lui dire en pleine face que c’est un con. En tout cas, c’est comme ça qu'il le prenait. Une fête des bateaux? Le pauvre garçon n’était pas suédois (les suédois sont le genre de personnes à faire des fêtes aussi ridicules après tout -selon le point de vue d’Asger) et s’en contre-fichait. En plus de tout ça, on lui avait collé Esben sur le dos. Plus il la connaissait, plus l’image qu’il avait d’elle se transformait. Il pensait au début que c’était une simple fille (et un peu chieuse sur les bords) qui avait ce syndrome de vouloir tout contrôler, sans plus. Certes, elle s’était avérée être comme ça, mais elle semblait être un tout petit peu plus profonde. Et puis, il était aussi un peu effrayée d’elle. Une fille qui sait ce qu’elle veut dire, c’est toujours effrayant. Il était venu la chercher chez elle, et elle n’avait pas dit un mot durant les vingt minutes de voyage. À vrai dire, leur dernière rencontre n’avait pas été de toute gloire, et Asger craignait leurs retrouvailles.

Elle était belle, se disait Asger. Son odeur enivrait la voiture d’une fragrance de fleurs. Pour autant, mis à part, ‘bonjour’, le pauvre garçon avait été pétrifié et n’avait pas dit un mot. Il lui fallait de la bière, de l’alcool, et vite pensait-il. Ils étaient arrivés au port. Il y avait foule, et on attendait que les représentants du country club daignent se pointer. Non mais il n’avait que cinq minutes de retard, c’était pas la faute du blondinet si les routes d’Odense sont impraticables, il aurait du s’acheter une moto. Il laissa Esben sortir de la voiture, et partit la garer. Quand il revint en direction d’Esben, il chopa une caisse de bière sur son chemin qu’il déposa près de son stand. Il sourit à Esben, terrifié. Il aperçut un garçon un peu éperdu (KAJ) qu’il avait croisé au club d’échec et à la boutique de costume. Une échappatoire. -Hé Monsieur Hummel, un petit tour de bateau, ça vous dirait? Ah oui, il fallait peut-être préciser: ce n’était pas des bateaux à moteurs, mais que de jolies petites barques en bois. Il se retourna vers sa charmante co-équipière en lui offrant une bière et son plus beau sourire.

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