you're messing with the enemy
“

L'homme poussa hargneusement la porte de bois qui le séparait de la Bibliothèque où ses confrères, tous sagement assis autour d'une table, l'attendaient. Sans même leur adresser la moindre parole, il lança un exemplaire du journal du jour même qui glissa sur la table avant de s'arrêter en son centre. L'espace d'un instant, tous se regardèrent sans comprendre où leur supérieur voulait en venir. Puis, après avoir repris leurs esprits pourtant bien ensuqués par le champagne et la dinde aux marrons mal dirigée, se figèrent. Sur la première page, le visage marqué d'une petite fille s'affichait, accompagné par un titre poignant « Une fillette morte de froid un réveillon de noël. »
Se pouvait-il qu'il s'agisse de la Petite fille aux allumettes ? Au regard noir que leur supérieur leur lançait, il n'y avait pas à en douter… Pourtant, depuis plusieurs jours, ils étaient tous tellement surs qu'il s'agissait plutôt de cette autre petite fille qui s'abritait, les soirs de grand froid, près d'une bouche d'aération au coin de (nom de la rue, quartier pauvre)… Comment avaient-ils pu se tromper à ce point ?

---

Un sourire mauvais se dessinait sur les lèvres de Baba Yaga alors qu'elle s'amusait à tourner une allumette entre ses doigts. A chaque fois que le petit morceau de bois touchait sa peau, une sensation de pouvoir l'envahissait. Enfin. Enfin elle avait trouvé le moyen d'obtenir un peu plus de puissance dans ce monde et se permettait même à en rêver davantage.
La veille, elle s'était assurée que le destin de la Petite fille aux allumettes, cette souillon, soit tout aussi tragique qu'il ne devait l'être, sinon pire puisque de la souffrance des autres personnages naissait un profond sentiment de jouissance. S'étant faite passer pour une policière afin d'accéder au corps et s'assurer qu'elle avait bel et bien rejoint les morts (et ce, à tout jamais), Baba Yaga avait aperçu cette allumette… Elle n'aurait su dire pourquoi, mais cet objet, enfui dans une boite contenant des centaines d'autres identiques, avait attiré son œil. Il ne fallut que quelques instants pour comprendre qu'elle parviendrait bientôt à retrouver sa puissance d'antan.

Très vite, ses sœurs avaient été mises au courant de ce que ces “ reliques ” (que, bien qu'ignorant leurs dons, semblent posséder chaque personne de conte) pouvaient accomplir. Et, c'est d'un accord commun qu'elles décidèrent que travailler ensemble leur étaient préférable puisque c'est ainsi qu'elles étaient arrivées là où elles en étaient aujourd'hui (bien que, Baba Yaga ne l'oubliait jamais, aucune ne faisait entièrement confiance dans les autres).
Ainsi, ensemble (bien qu'a l'agacement générale, Baba Yaga s'en appropriait l'initiative), elles avaient décidé de duper les Protecteurs pour obtenir les carnets si précieux dans lesquels ils recensent le moindre détail à propos de chaque personnage afin, non seulement de découvrir quelle est la relique de chacun, mais aussi pour savoir où ils les cachent. Pour cela, elles ensorcelèrent plusieurs humains lambdas après avoir écrit leur nom dans l'Eventyr…
Est-il encore utile de préciser que cette tache fut la plus périlleuse ? Puisqu'il leur fallut d'abord trouver la bibliothèque (quoique suivre les Protecteurs, dont elles connaissaient d'ores et déjà la réelle apparence puisqu'ils la conservaient en entrant dans le monde des fées, ne fut pas la chose la plus difficile), ensuite tromper la vigilance des Protecteurs que leur magie n'atteint pas (maudites soient ces fées et leurs potions dont les effets ne semblent pas près de se dissiper, même dans ce monde !), pour enfin obliger le grimoire à s'ouvrir.

Une fois leur nom écrit, elles n'ont à présent plus qu'à attendre. Plus qu'à attendre que les Protecteurs, persuadés que l'Eventyr les a choisis, en fassent des apprentis et commencent à les former pour qu'enfin, ils fassent confiance en ces futurs “ protecteurs ” En effet, si en temps ordinaire, ils auraient remarqué rapidement le niveau bas de ces recrues, ils ne peuvent pas, en ce temps de crise, se permettre de renier ces nouveaux venus bien que quelque peu incompétents et doutant de tout… D'autant plus qu'étant incapable de les faire entrer dans le monde des fées, ils ne peuvent pas non plus leur fournir la preuve nécessaire.
Ces humains, non adaptés à une telle croyance, semblent persuadés (du moins, pour la plupart) que les Protecteurs n'ont plus toute leur tête alors que c'est eux qui devraient se méfier de leurs esprits. En effet, en les ensorcelant, les sorcières ont créé entre eux une sorte de connexion, en profitant non seulement pour lire dans leurs esprits mais aussi pour, lors de moments d'absence, les contrôler, les obligeant par la force mentale à se plier à leur volonté et s'arrangeant, par exemple, pour que lorsqu'ils découvrent un objet importé depuis le monde des contes (à savoir une relique), ils leur transmettent d'une manière intraçable.
Ainsi, alors que ces pions sèment le trouble et récoltent les informations, elles n'ont plus qu'à se tapir dans l'ombre… pour le moment.

---

Il en est ainsi depuis maintenant un peu plus de trois mois. Les protecteurs sont encore plongés dans l'ombre et peinent à avancer… La seule découverte qu'ils ont fait en ce laps de temps est à glacer le sang : il semblerait que la magie soit inexplicablement présente dans ce monde et, malheureusement, aux services des sorcières.