lindberg. lejla. dix-sept ans. danoise, origines allemandes. elle ne travail pas. lycéenne. célibataire. désenchantée, souriante, attachante, têtue, bornée, expressive, impulsive, désordonnée, débrouillarde, fêtarde, impatiente, fragile, trop optimiste, intelligente ..

Mme Jakobsen, 73 ans.
Voisine d'à côté des Lindberg.

Alors dites-moi Mme Jakobsen, que pensez-vous de la petite Lejla ? Ohhhh, qu'elle est belle cette petite. Vous savez, j'ai toujours trouvé qu'elle avait l'air d'un petit ange et d'ailleurs, ce petit air angélique, elle l'a toujours. Lorsqu'elle était petite, elle semblait si fragile, mais pourtant si déterminée. Vous voyez, elle avait une tête dure et n'était pas rare les fois où je l'entendais se disputer avec sa soeur ... Sofia, c'est ça ?! Bref, n'empêches qu'elle n'aurait pas fait de mal à une mouche selon moi. En plus, il lui arrivait une fois de temps en temps de venir me parler, me tenir compagnie, j'étais déjà veuve et seule à cette époque et la petite arrivait à me faire sourire. Généralement, elle me demandait de lui lire des histoires avec son plus beau sourire pour être bien certaine que je ne refuserais pas. - rire - Elle était réellement charmante et elle l'est toujours ...
Et elle ressemble à quoi maintenant ? Je dois avouer qu'elle n'est plus réellement la petite fille candide et naïve qu'elle était pas le passé. Je crois fortement que la mort de son père et le départ soudain de sa soeur l'ont poussé à vieillir plus vite qu'elle n'aurait du. Elle a subi un tel choc cette pauvre petite. Par la suite, elle était de moins en moins souvent à la maison et je ne saurais vous dire réellement ce qu'elle devient. Parfois, néanmoins, je la vois traîner avec ce Mattie ... L'ancien copain de sa soeur, une part de son passé à laquelle elle s'accroche peut-être.
Vous avez du la voir évolué puisque vous vivez ici depuis toujours. Parlez-moi un peu de son évolution. Franchement, du jour au lendemain, Lejla est devenu l'ombre d'elle-même. Elle a changé énormément peut-être de façon à se rebeller face à ce qui lui arrivait. Ne sachant pas comment y parvenir elle s'est mise à déraper, du moins, d'après ce que j'en sais ... C'est arrivé quelques fois, au début, que sa mère vienne cogner chez moi, cherchant ou la petite pouvait bien être ... Eh puis, ça a cessé quand elle a compris qu'elle ne se cachait pas chez moi et qu'elle fuyait ... Je l'ai revu quelques fois, elle passe dans le coin une fois de temps en temps, en plein jour, quand sa mère n'est pas là. Elle me donne l'impression de fuir, peut-être est-ce le seul moyen qu'elle a trouvé pour échapper à ses sentiments ... La fuite. J'ai fait la même chose lorsque mon mari est mort. Vous savez, lorsqu'on est vieille comme moi, on a beaucoup de temps libre et ce temps-là, je l'utilise pour observer les gens. Lejla entre autres. Je la surveille en secret, j'ai peur qu'il lui arrive du mal voyez-vous. Elle ne semble pas réellement consciente de tout ce qu'elle fait. Elle ne vit pas dans le présent selon moi, la pauvre est toujours aux prises avec son passé. C'est dommage, c'est triste.
Pensez-vous qu'elle est destiné à un bel avenir ? Ohhh, mais certainement. Elle a toujours été très brillante cette petite ! Pleine d'idées originales et de plans plus ou moins réalisables, mais au moins, elle croyait dur comme fer qu'elle était capable de réaliser tout ce qu'elle souhaitait. Bref, si elle recommence à vivre, dans le présent et qu'elle oublie le passé, ou du moins qu'elle tente d'avancer, nul doute, qu'elle réussira bien dans la vie la petite Lindberg. Une vraie fonceuse !

Le soleil brille, du moins, j'ai l'impression qu'il brille. Je n'ai pas encore eu le courage de me lever et de faire face au monde extérieur. Ça doit bien faire plus de cinq heures que je suis assise dans ma chambre, à fixer le mur, pourtant, j'ai l'impression que ça ne fait que quelques secondes. Le temps passe vite, trop vite. Je n'ose pas allez dans la salle de bain, faire face à ce visage déconfis, à ses yeux bouffis, j'ai pleuré ... Encore. Toute la nuit d'ailleurs. Sofia ne me parle plus, elle est comme coupé du monde extérieur, c'est pire que l'enfer et ma mère ... Maman, elle n'a pas encore prononcé un seul mot cohérent depuis qu'il est mort. Il est mort, non ? C'est bel et bien ça qui est arrivé, non ? « ... Papa ... » Un simple murmure, une plainte, je n'arrive même pas à reconnaître ma propre voix. Il faut dire que depuis l'accident, je n'ai prononcé un seul mot. Tout était un flou, au ralentit, j'avais l'impression qu'autour de moi, il n'y avait que du vide. Quand j'ai appris la nouvelle, je n'ai pas réalisée sur le coup, j'ai cru à une mauvaise blague. Vous savez, le genre de blague que votre meilleur ami vous fait avec le sourire aux lèvres, pas vraiment crédible, quoi. Le genre de blague pas drôle du tout, le genre de blague qu'on ne fait pas. Pourtant ... Cette fois, ce n'était pas un blague. J'aurais préféré que ça en soit une, mais ce ne l'était pas et ça, quand je l'ai réalisé, je me suis senti tombé. Comme dans un trou, sauf que s'en était pas un et en plus, il n'y avait personne pour m'aider à en sortir, personne pour me secourir ... J'étais invisible, du moins, c'est l'impression que j'avais. Personne n'a vu ma détresse, au fond, même moi je n'ai pas compris immédiatement dans quel état je me trouvais. C'était étrange, trop étrange pour être vrai. Eh puis quoi encore. J'ai mal, mal partout, je n'ai toujours pas bougé. Peut-être est-ce que je devrais aller ouvrir les rideaux ... Tenter de faire face au soleil. En ai-je encore le courage ? Papa, est-ce que tu t'es sauvé, comme un voleur, avec une petite partie de moi, dit-moi ? Je décroise mes jambes, c'est la meilleure chose à faire. Je m'avance, plus lentement qu'à l'habitude étrangement, vers les rideaux. Mes mains tremblent, c'est étrange ... Je tire le rideau de droite et rien ... Le soleil n'est pas là. La lune me rit au nez ... Elle rit de moi, de ce à quoi je ressemble - à pas grand chose en l’occurrence. - J'ai perdu la notion du temps ...

Douloureuse solitude. Il paraît qu'après le décès d'un être proche, il y a une période de deuil et après le deuil, il parait que la vie recommence. Je crois qu'on m'a raconté des histoires, des mensonges pour me donner l'impression que la vie reprendrait son cours comme si de rien n'était, mais la vie ne continue pas, c'est faux. J'aurais pourtant préféré que leurs histoires soient vraies, ça aurait surement été moins douloureux. Doux mensonges. Il parait qu'on passe par-dessus, qu'on recommence à vivre, que la vie reprend son cours, qu'on retrouve le sourire ... Ça aussi c'est faux. Moi, je ne dois pas être normale. Je ne souris pas, enfin, pas beaucoup. Le temps, il n'avance pas, du moins, c'est l'impression que c'est le cas et bon dieu que je me sens seule. La mort de mon père, à créer un vide ... Le départ de ma soeur, a accru ce sentiment de vide, de solitude que je ressentais ... Et ma mère ? Ma mère, elle s'est remise au travail et elle travaille, encore et encore. C'est sa façon à elle d'oublier. J'ai l'impression que ça ne marche pas vraiment, mais au moins, ça lui occupe l'esprit. De mon côté, je m'amuse à foutre ma vie en l'air, il parait que c'est plus amusant de vivre sans se soucier des conséquences. Il parait que la vie est meilleure quand on ne se soucie de rien. Il parait ... Que j'ai l'air heureuse, que j'ai l'air bien ... Oui, il parait.

Je vole ... Enfin, je marche, mais j'ai l'impression de voler. Cette drôle d'impression de ne pas être totalement maître de moi-même, de mon corps. Cette impression d'être contrôlé par quelqu'un d'autre. Quelqu'un de plus beau, de plus fort, de plus courageux que moi ... Et j'aime ça. Cette sensation d'être invincible et de pouvoir faire face à tout ce que la vie pourrait m'envoyer. Je ris ce petit rire un peu cinglé. Je ris parce que je sais que c'est faux, que je ne suis pas comme ça, que je suis loin d'être invincible et forte et que je ne le serai surement jamais. Oui, ça me fait rire. Je dois avoir l'air cinglé, je sais que cet homme à côté de qui je viens de passer à envie d'appeler la police pour me faire embarquer. En même temps, je le comprends, vu de quoi j'ai l'air. Les cheveux en bataille, du maquillage partout sur le visage, des vêtements déchirés par-ci par là - je suis tombé, plus d'une fois même - et cette bouteille à la main. Bouteille que j'aurais bien envie de lui lancer sur la tête vue les regards qu'il me lance.« Tu veux quoi toi ?? Ma photo ? » Je lui lance ma bouteille. Elle éclate sur le sol et l'homme recule de quelques pas, ahuris. Oups ... J'aurais pas du, elle était presque pleine cette bouteille en plus ... Ma deuxième de la soirée je crois ... Ou peut-être la troisième, va savoir. Ohhh, cet homme, il me regarde encore et porte lentement sa main jusqu'à sa poche pour en sortir son téléphone. Et merde, pas de chance. Je tourne les talons, légèrement chancelante. Bravo. La police, cet homme doit bien avoir appelé la police, non ? Je peux pas retourner au poste, pas dans cet état et pour la deuxième fois de la semaine. Je marche, je cours presque jusqu'à me retrouver devant la porte d'une petite maison assez simple. Je dois rester planté là un bon 10 minutes avant de me décider à cogner. Puis à sonner, alors que l'alcool me montre à nouveau au cerveau. « Mattie ! Mattie, allez ouvre-moi ... Mattie, allez ... Il a appeler la police. Allez, je peux pas res ... » Je me stoppe net alors que la porte s'ouvre et que Mattie me prends par le bras pour me traîner à l'intérieur. Il doit vouloir éviter que je réveille les voisins une fois de plus. Il soupire, je le vois bien qu'il en a marre de moi ... Comme tout le monde, mais qu'importe. « Me renvoie pas dehors svp ... Mattie, ce mec il a appelé la police. Je peux pas ... Allez, garde-moi. » J'arrête un peu de me plaindre, pour lui offrir mon plus jolie sourire. Je sais que ce n'est pas nécessaire, qu'il va me permettre de rester, mais quand même. « La police, mais t'as fais quoi encore ? » ... Je secoue la tête de gauche à droite, je veux pas lui dire ... j'aurais l'air de quoi. D'une folle ? Eh puis, de toute façon, tout le monde à cette impression de moi. Une espèce de cinglé qui ne fais rien de bien de sa vie, quoi. « ... Je lui est lancé ma bouteille à la tête.» Je me tais, puis je reprend : « Mais je l'ai même pas touché, hein ... C'est pas grave. » Je m'arrête. Vaut mieux éviter d'avoir l'air plus idiote que j'en ai déjà l'air. Je crois mes bras, attendant une réaction de Mattie qui ne vient pas. De mon côté, je veux seulement qu'il oublie ce que je viens de lui dire, qu'il oublie les conneries que je peux avoir fait. Il doit simplement oublier. Je m'approche un peu de lui. Il est plus grand que moi, trop grand. J'aurais aimé qu'il me sert dans ses bras, qu'il me dise que c'était pas grave, mais ça n'arrivera pas ... Pas depuis, l'autre jour. J'entoure sa taille de mes petits bras, un câlin, je cherche seulement un peu de réconfort. « ... Va te coucher princesse. » Mes bras tombent le long de mon corps et mon visage se décompose. Ce n'est pas la réaction à laquelle je m'attendais, ce n'est pas la réaction que je souhaitais.