En l’espace d’un clignement d’oeil, Solvej se retrouvait au milieu d’un grand pré. Elle n’avait aucune idée de ce qu’elle faisait là, mais ce qu’elle voyait c’est que le soleil était magnifique. Le ciel était d’un doux violet rayonnant; et les nuages, dans un magnifique ton vert d’eau, semblaient se mêler aux douces feuilles dorées des arbres. La jolie brunette dressait à peine son bras, que plusieurs papillons se précipitèrent sur ses longs doigts fins pour s’y reposer. Les papillons étaient multicolores fluorescents et pailletés, tous rayonnants d’une aura de joie. Les oiseaux arrivèrent en virevoltant dans ce beau décor, garnis de plumes plus extravagantes les unes des autres; ils chantaient un air insolant de liberté. L’air était frais, reposant; une odeur fraîche de fleurs y était agréablement envahissante. Une douce brise venait se frapper contre la peau de pêche de Solvej et ses mèches rebelles se mêlaient au vent dans un élan de grâce. Elle souriait. Le doux bruit des oiseaux se mélangeait que trop bien à l'harmonieux son du vent tapant contre les fleurs du pré. Solvej ferma ses paupières et inclina sa tête en direction du soleil. Elle se sentait chez elle, comme si elle avait été destinée à rester là depuis toujours. Rien ne semblait trop fait, trop irréaliste. Tout cela semblait être le magnifique quotidien de la douce fille.

Commençant à tourner sur elle-même, elle fut interloquée par un doux rire cristallin de fillette pas loin. Elle se mit à courir suivant l'origine du bruit, le pré semblait répondre à ses désirs et besoins sans attendre, déplaçant fleurs et arbres sur son chemin. Guidée par les oiseaux merveilleux, elle trouvait les deux fillettes. Cachée derrière un arbre plus beau que nul humain n’ait vu, Solvej assistait à une scène des plus touchantes: c'était elle et sa grande soeur lorsqu'elles étaient encore gosses, jouant au château de sable dans une douce ambiance d’innocence. Les deux petites filles avaient toujours leur petit nez de trompette, et leurs petits yeux en forme de noisette. Quand Solvej tenta de s’approcher, les deux filles disparues soudainement dans une fumée grise. Elle sentit son coeur se resserrer et son pouls s’accélérer mécaniquement, comme si elle était prise d’un mauvais souvenir essayant de refaire surface. Elle fit un pas en arrière avant de ricocher contre une racine de l’arbre et d’en tomber. Après quelques minutes à rester stoïque, elle se releva avant d'apercevoir sa soeur au loin. Solvej souriait, elle souriait si fort que les oiseaux l’avaient entendue. Les papillons aussi. Elle sentit les membres de son corps s'alléger petit à petit, jusqu’à être poids plume et de s’envoler dans les airs. Elle s'avançait dans sa direction, réalisant seulement alors que tout ça, ce n'était peut-être qu’un rêve. Ce qui lui avait mis la puce à l’oreille n'était pas le décor fantastique, les oiseaux amicaux ou simplement le fait de voler; mais de voir sa soeur de si proche. Caja ne voulait plus la voir, mais aujourd’hui, la maintenant, à ce moment présent, elle était ici comme si rien ne s’était passé. Dans le coeur de Solvej, c'était tout ce qui comptait.

Elle ne se souvenait pas avoir jamais ressenti cette impression de flottement qui s'emparait de son corps. C'était comme si elle ne pesait rien - et pourtant dieu sait qu'elle n'était pas un poids plume étant donné sa masse musculaire, et elle goûta à cette sensation nouvelle avec délectation. Elle se demanda un instant si elle pouvait voler, et tenta de se propulser dans ses airs d'un battement de pieds contre le sol. Mais elle devait soit manquer de concentration, soit d'imagination, car elle resta immobile. Clignant fortement les yeux comme lorsqu'elle voulait chasser une image déplaisante, elle eut la surprise de constater qu'elle s'était déplacée dans ce qui semblait être un immense pré d'un vert aveuglant, où seuls étaient perceptibles les cris des oiseaux et le bruissement des feuilles face au vent. Elle n'avait plus eu affaire à ce genre de paysage depuis des années, et ce temps même lui semblait révolu, enfoui aux tréfonds de sa mémoire paresseuse. Elle tenta d'oublier ce sentiment désagréable qui s'était emparé d'elle alors qu'elle essayait une nouvelle fois de mettre des mots dans les trous de son esprit, comme si elle avait oublié quelque chose d'essentiel. Parce qu'elle savait bien qu'elle n'avait rien oublié, elle se souvenait absolument de tout ce qui avait fait son enfance et son adolescence. Elle se souvenait également des événements plus récents mais, ça, elle aurait aimé ne plus y penser. S'avançant avec précaution sur l'herbe tendre afin de ne pas laisser sa marque et écraser les brins délicats, elle étira les bras, le visage baigné par le soleil. Elle sentit que c'était le moment et ferma les yeux. Son corps s'envola alors et elle comprit que les oiseaux avaient la meilleure des vies, surplombant le monde du haut des cieux. Mais une forme s'avançait vers elle, de plus en plus vite, et elle comprit qu'elle n'avait pas tant affaire à un merle ou autre volatile qu'à sa propre sœur, qui elle aussi évoluait dans les airs comme si elle avait fait cela toute sa vie. Elle savait désormais que c'était un rêve, mais c'était un doux rêve qu'elle n'aurait terminé pour rien au monde. C'était comme si elle avait accès à un univers familier : les arbres, la nature, et sa sœur, à la fois si proche et si lointaine. Elle tendit le bras vers elle et ce geste la fit accélérer. Les deux mains se nouèrent, et Caja eut l'impression qu'elles étaient devenues aussi petites que celles d'un enfant. Mais cette image s'atténua et elles s'envolèrent pour le plaisir de voler, frôlant la cime des arbres et ne s'inquiétant de rien, parce que l'horizon n'avait pas de fin. Pourtant, au bout d'un temps indéfinissable, une ombre apparut au loin dans le paysage, comme une tour... puis deux... puis plusieurs, surmontant un pont levis et une foule dont elle n'apercevait quasiment rien. Un château. C'était comme si elles avaient remonté le temps. - Viens, allons voir, lança Caja doucement, bien que ne sachant pas comment amorcer la descente. Il lui suffit de le penser pour qu'elle commence à piquer vers le sol, et qu'elle enjoigne sa sœur à la suivre. Comme lorsqu'elles étaient petites filles, c'était Caja qui commençait, qui prenait les risques.

Une douce brise tapait dans les longs cheveux des brunettes, avec une grâce insolente elles se serrèrent leurs petites paumes blanches entre elles. Solvej souriait, c'était comme les temps de son enfance; un temps où elle reposait toujours sur la sérénité de Caja, un temps où elle n’avait rien à craindre. Les deux filles disparaissaient dans le décor merveilleux, volant plus vite que l’hirondelle et plus haut que l’aigle. C'était ce sentiment de liberté qui envahissait chaque partie du corps de Solvej. Ca lui donnait cette énergie, cette énergie incroyable qui lui amenait cette confiance en soi inébranlable. Elle n’avait plus peur, elle n’avait plus honte, elle était prête. Prête à tout affronter, tout surmonter: il n’y avait plus de limites. Les deux soeurs virevoltaient dans les airs, jusqu’à ce qu’un château apparaisse à l’horizon. C'était un château magnifique, des tours d’un gris de diamant, des fenêtres aussi hautes que le plus grand arbre du pays, des douves aussi profondes que la grande mer. -Viens allons voir. sortait légèrement sa grande soeur. Solvej observa sa grande soeur se diriger vers les nuages, tombant rapidement vers la terre humaine. Après quelques petites secondes d’inattention, Solvej se mit à la suivre et à aller aussi vite qu’elle.

L'atterrissage de Caja avait été parfait: un sans faute, comme d’habitude; mais évidemment Solvej avait chuté dans une petite mare de canard -qui n’ont d’ailleurs pas apprécié cette visite imprévue. La pauvre fille était trempée de la tête aux pieds, mais après une remarque de Caja, celle-ci rétorqua -T’as qu’à imaginer que c’est une robe de princesse, comme dans ces grands bals majestueux. La jolie brune tournaillait autour de sa grande soeur, comme pour se sécher; quand tout d’un coup, après un nuage de fumée couleur parme et or se forma autour de la belle brune, elle se retrouvait vêtue d’une robe plus impressionnante et plus gracieuse que n’importe quelle robe de couturier humain. C'était une robe rose-orangée, les broderies étaient de fils d’or, les pierres accrochées étaient des diamants aussi gros que des cailloux. La jeune fille étirait ses doigts dans le vide afin d’observer ce nouveau présent qui lui avait été fait. Dans une recherche d’avoir l'approbation de sa soeur, Solvej après s'être assez émerveillée de sa robe lança un regard furtif à sa grande soeur. Cette dernière observait la robe avec un plus grand soin -Tourne sur toi, tourne sur toi, t’en auras une encore plus belle. Après ces quelques mots prononcés, Caja se vit tourner sur elle-même -aider par sa petite soeur, et vêtue d’une robe couleur de nuit et de rêve, aussi magnifique que la précédente. Après quelques regards de joie partagés, Caja attrapa la fine main de sa petite sœur, et s’envola à nouveau -mais beaucoup moins en hauteur cette fois-ci, en direction du beau château. Les filles s'arrêtèrent devant l'entrée principale. Solvej se tenait un peu derrière, comme à son habitude. Elle observait les alentours, émerveillée. Elle n’avait jamais vu quelque chose d’aussi beau, non jamais.

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