❝ a billion stars go spinning through the night,
blazing high above your head.
But in you is the presence that
will be, when all the stars are dead.

La capuche de mon sweater rabattue sur mon crâne, la cigarette à la main, je marchais sur la rive du canal, éclairé par la faible lumière des constellations et des lampadaires. Une fine brise fouettait mon visage, pourtant la nuit n'était pas trop fraîche, au contraire. Le quartier était relativement calme, contrairement à Odense North, paisible, se laissant bercer par l'obsurité, la nature et quelques conversations de passants nocturnes. Je m'assis sur un banc, inspirant une bouffée de tabac, pensif. J'observai la vue qui s'offrait à moi et contemplai sa beauté. Je repensai à ces nuits moins chanceuses que j'avais passées dehors avec ma sœur, ces nuits à crever de faim et de froid, à rêver d'un avenir meilleur, espérant même un avenir tout court. Je m'en souvenais comme si c'était hier, la chair de poule parcourant mon échine alors que mes bras fébriles et protecteurs encerclaient la personne que je chérissais le plus au monde. Je l'avais eu, cet avenir aussi peu brillant, heureux et prometteur soit-il. Après tout, je ne pouvais pas me permettre de demander la lune. Je m'estimais heureux d'être encore en vie, d'avoir désormais un toit sur la tête et d'avoir pu préserver le dernier membre de ma famille auquel je tenais réellement. Même si ma vie n'était pas un cadeau, que je multipliais les emmerdes, ce n'était pas ce qui importait à l'instant présent, j'imagine. Tirant la dernière latte de ma cigarette, je la jetai au sol et l'écrasai négligemment à l'aide de mon pied. Je fourrai les mains dans mes poches et m'affalai à nouveau sur mon banc. Mon regard se porta sur cette immense toile qui surplombait la ville, ce ciel noir d'encre dont les étoiles allégeaient la souffrance et l'obscurité, comme de lueurs d'espoir auxquelles chacun peut s'accrocher. Je souris, légèrement. J'avais toujours chéris ces instants, face à face avec l'immensité de cet espace qui nous dominait, nous petits êtres de chair et de sang. C'est dans ces moments, et seulement ceux-là, que je me laissais porter vers ces sourdes fantaisies dans lesquelles j'appartenais à une autre galaxie. Un monde meilleur, un univers différent de ce monde crasseux dans lequel nous vivons, un endroit qui m'accepterais pour qui je suis, qui je veux être, parce qu'ici je me sentais comme un vieux jouet délaissé, comme une braise étouffée, en manque d'air, rêvant de briller de mille feux et de brûler tout sur son passage, mais demeurant coincée sous de vieilles branches refusant de prendre feu. Alors oui, même si j'étais absorbé par ce ciel sombre et puissant, au moins lui, me faisait me sentir vivant. Et de mes petits yeux marrons, je le suppliais de m'arracher à ce monde cruel auquel je n'appartenais pas. Take me home, m’entendais-je murmurer, i beg of you, take me home.

Je soupirai. Des rêves, des espoirs, des fantaisies, des miettes de pain, c'était tout ce que c'était. Tout ce que ça avait toujours été. Disparues, envolées, égarées, je cherchais en vain à m'y raccrocher mais ça n'avait aucun sens . Que faisais-je là, sous les étoiles, à contempler ma propre perte, le reflet de mon échec, mon manque d'air ? Je plissai les yeux de fatigue. J'avais cette impression que je passais ma vie à tourner en rond, comme une malédiction qui me réduisait en cendres, des fleurs qui à peines plantées dans mon cœur, pourrissaient, remontant jusque dans ma gorge, m'étouffant. Elles me laissaient un goût amer dans la bouche, quelque chose dont je voulais me débarrasser, mais incapable de bouger je restais là, emprunt de dégoût, chacun de mes muscles m’affligeant une douleur insupportable. Mais ces fleurs n'étaient qu'une représentation de moi-même, petite chose rampante et détruite, tentant de survivre dans cet environnement hostile, échouant à chaque tentative. Sans voix, statique, impuissant. Toutes ces sensations me bouffaient, et je détestais ça. J'étais comme pris au piège, suffocant. J'avais ma sœur, et elle m'aidait à garder la tête haute, à ne pas me noyer dans ce tourbillon de cruauté et d'horreur, mais que peuvent deux âmes aussi abîmées l'une pour l'autre, mis-à part se détruire mutuellement ? Et si nous survivions, c'était tout ce qui nous entourait, qui serait alors détruit. Nous étions voués à souffrir, d'une façon ou d'une autre, c'était ce que j'avais retenu de notre histoire. Et au fond, je m'en fichais, parce qu'elle était tout ce que j'avais et que, peu importe ce qu'on me balançait à la figure, pour elle, je pouvais tout encaisser.

Une jeune fille s'assit à coté de moi, m’extrayant de mes pensées, et m'observant un moment avant de me lancer - « Dis-moi toi. On se serait pas déjà vu quelque part ? » - je levai les yeux dans sa direction. La demoiselle avait le sourire plus grand que toute la tristesse de l'univers. Elle était plutôt jolie. - « Ahhhhhh et c'est pas une tactique de drague bidon ! Je tiens à le préciser. Non, mais franchement, ton visage me dit quelque chose, mais j'arrive pas à me rappeler oulàhhh ! » - j'esquissai un sourire en coin, sans dire un mot. Elle m'avait sans doute reconnu suite aux rumeurs qui me concernaient, celles qui disaient 'oh-mon-dieu-ce-monstre-aurait-tué-de-pauvres-innocentes'. Enfin, je ne voyais pas d'autres hypothèses, et pourtant elle ne semblait pas effrayée, pas le moins du monde, alors après tout, peut-être que j'avais tord. Honnêtement, j'en avais rien à faire. - « Ohhhh, au passage, c'est pas très poli quand j'y pense ... Je me présente, moi c'est Lejla ! » - je la dévisageai un instant, quelque peu amusé par son attitude. Elle me tendit la main, en riant. Je la saisis. - « Rikke. » - fis-je le plus simplement du monde. Elle avait l'air un peu pompette, et j'espérais un peu qu'elle ait de l'alcool à me proposer, ce qui me permettrait d'oublier tout ce qui me pesait, de faire le vide, et occasionnellement de me faire un peu plus mal, histoire de me prouver que c'était encore possible, que je n'étais pas si agonisant, qu'il y avait pire.

Spoiler: