Je sais que je ne suis pas supposé être le méchant, même si c'est ce que tout le monde s'évertue à faire croire. Pourtant il m'arrive d'avoir ces pensées malsaines, violentes, sanglantes. La première fois que je les ai expérimentées, ça devait être le jour où mon lâche de père nous a mis à la porte. Il ne daigna même pas croiser nos regards implorants, obéissant simplement à la cruauté que notre mère exprimait sans honte, et qu'au fond il ressentait aussi. Seulement la culpabilité le rongeait, et il avait sûrement peur de ne pas être capable d'abandonner sa chair et son sang, s'il avait vu la panique dans nos yeux. Ma haine ne devint cependant véritable que lorsque je me rendis compte, la nuit tombée, de ce qui m'attendait. Mais même si je lui en voulais, je ne crois pas que j'aurais été capable de lui faire physiquement du mal, car il restait mon père, après tout. En revanche, il y avait eu cette fois, je m'en souviens comme si c'était hier, où j'avais imaginé les pires tortures pour cette ordure qui avait tenté de violer cette fille, une prostituée, dont les traits ressemblaient à Annelise. - « HEY ! » - avais-je crié, ce qui l'avait fait fuir. Pendant qu'il fuyait, je me voyais le poursuivre, l'attaquer, agripper sa gorge et lui briser la nuque d'un coup sec, alors que la stupeur prit possession de lui et qu'il poussa son dernier souffle. Soudainement Annelise m'avait attrapé le bras, me demandant de venir m'abriter, et de retour à la réalité j'avais réalisé que la jeune fille n'était pas ma sœur. Après ça, j'avais jeté un dernier coup d'oeil au loin, voyant la silhouette du type disparaître, sans jamais rien faire à son propos. Je crois que c'est ce monde qui me pesait, et c'était ma façon de combattre le mal, mal qui régnait sur cette terre, mais peut-être aussi ce mal qui était en moi, et qui m'oppressait. Je n'étais pas quelqu'un de mauvais, je voulais simplement être juste et droit. Pourtant parfois c'était à se demander si je n'étais pas destiné à d'horribles choses. Depuis, de temps en temps, il m'arrive d'avoir ce genre de pensée sur ce genre de personne, mais au fond, peut-on réellement me blâmer pour ça ? We all go a little mad sometimes.

Ϟ

J'avançais, un pied devant l'autre, pourtant j'avais la sensation de reculer. Le cœur serré, les mains tremblantes, j'inspirais un grand coup. Je poussai la porte du poste de police, quand seul la lumière de la lune berçait mon visage, je la vis de l'autre coté de la rue, qui m'attendait. Je fermai l'espace de quelques secondes mes paupières, soulagé, dans un sens, quand bien même je savais que ce n'était que le début d'un enfer sans issue. C'était ce que je me disais à cet instant du moins, je ne voyais pas de porte de sortie, pas d'échappatoire, seulement l'obscurité. Lorsque je rouvris les yeux, elle était là, auprès de moi. - « Rikke.. » - murmura-t-elle finalement - « Oh mon dieu, tu vas bien ? » - Je plissai les lèvres et m'empressai de la serrer contre moi, en guise de réponse. Mes bras enroulés autour d'elle, mon nez enfoui dans ses cheveux, je la serrais de tout mon être, enfin chez moi, car Annelise était mon chez moi. Quelques minutes passèrent sans que nous ne disions un mot, simplement collés l'un contre l'autre. Quand elle se défit enfin de moi, elle passa la main sur ma joue, je grimaçai. Un des flics m'avait un peu amoché en me frappant au visage, lorsque je refusais de répondre à ses questions. Ses questions dénuées de sens, mais qu'il persistait à poser. L'une d'elle était ma fille, étaient les derniers mots que je l'avais entendu prononcer. - « Qu'est-ce qu'il s'est passé ? » - Je lui pris le poignet d'un coup sec, la repoussant. - « Rien. » - Je m'éloignai de quelques pas, lui tournant désormais le dos. Je la sentis s'approcher à pas de loup, hésitant à poser sa main sur mon épaule. Je me retournai brusquement vers elle - « Qu'est-ce qu'il va advenir de nous ? Hein ? Tu peux me le dire ? » - m'écriai-je - « Avoir deux connards hypocrites qui n'en ont clairement jamais rien eus à foutre de nous pour parents, c'était pas assez ? Nous faire jeter dehors comme des moins que rien, vivre dans la rue, la nuit et le froid, avoir tout perdu, ça ne suffisait pas, non, il faut maintenant qu'on me foute des meurtres sur le dos ? » - « Rikke, s'il-te-plait.. » - « QUOI ? » - « Ne sois pas comme ça. » - je grommelai avant de reprendre - « Mais oui, pourquoi m'épargner c'est vrai. Oh regardez ce pauvre type, rejeté par ses parents, qui mange la saleté qu'on laisse dans les rues, dont le regard plein de haine nous agresse, incapable d'être reconnaissant envers ce monde qui lui offre pourtant son hypocrisie la plus hautaine, regardez le qui baise sa sœur, et bien maintenant il mange des pauvres innocentes, enfermons-le. » - « Arrêtes. » - j'échappai un rire nerveux, elle me fusilla du regard - « Si tu crois que ce n'est pas ce qu'ils pensent, t'es bien naïve, petite sœur. » - d'un pas rapide, je m'éloignai d'elle, la fureur montant en moi alors que le sourire sur mes lèvres s'effaçait. Dans quelle merde je me suis foutu, pensai-je. Mes mains closes, j'enfonçai mon poing dans le mur qui me faisait face. Posant ma tête contre celui-ci, je me mis à le taper, encore et encore, m’égratignant la peau jusqu'à ce que la douleur me fasse oublier tout le reste. Je me laissai tomber au sol, abandonnant tout espoir, les larmes arrachant mon visage comme de l'acide. Annelise haletante, qui venait de me rattraper en courant, spectatrice de la scène horrifiante durant laquelle son abruti de frère s'en prenait à un mur de briques, me prit les mains, qui étaient en sang, posant sa tête contre mon épaule. - « Je suis là. C'est tout ce qui compte. Et puis j'assure tes arrières, tu te souviens ? » - elle m'adressa un léger sourire, mais je vis la tristesse dans son regard. - « D'accord... » - fis-je, en me disant que j'étais celui censé veiller sur elle, j'étais le grand frère, c'était mon devoir, et jamais je ne me serais autorisé à échouer, jamais. Autant ce qui pouvait m'arriver, je m'en fichais - moi si, c'est ce qu'elle aurait répondu - mais je devais m'assurer que je serais toujours là pour elle. - « D'accord. »

OBJET CONSERVÉ DEPUIS L'AUTRE MONDE:

une canne en sucre d'orge toujours dans son sachet.